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02/04/2024 Bertrand Jacquillat Billets d'humeur
Bourse

"Au cabinet des curiosités financières : l’aversion au risque excessive des investisseurs" - Chronique de Bertrand Jacquillat

Il est un certain nombre de curiosités en finance qui n’ont pas d’explication convaincante...

Exemple, pourquoi le législateur accorde-t-il un avantage fiscal, sous forme de déductibilité des charges financières, au financement par emprunt des entreprises, et pas à son financement par fonds propres, alors même que de toute part s’élèvent les critiques contre l’économie d’endettement ? 

Autre curiosité, dans le domaine de l’épargne, il est tout à fait admis que les ménages financent un bien immobilier par emprunt, au-delà de leur apport personnel. Pourquoi en va-t-il autrement du placement de leur épargne en actions, par ailleurs bénéfique au financement de l’économie ?

En gestion financière, la curiosité, sinon l’incongruité, c’est la composante excessive des obligations dans les portefeuilles. Cette pratique est particulièrement enracinée de l’autre côté de l’Atlantique, avec la règle 60%/40% entre actions et obligations dans la constitution de la retraite par capitalisation.

Mais elle est aussi présente en France avec le fonds de retraite par capitalisation des fonctionnaires Prefon, investi à hauteur de plus de 70% en obligations, comme le sont les réserves du régime AGIRC/ARCO. Et elle est contre- productive pour l’investisseur, comme l’atteste le trio d’universitaires britanniques, Elroy Dimson, Paul Marsh et Mike Staunton dans la vingt-cinquième édition annuelle du « Investment Returns Yearbook 2024 », publiée par la banque UBS.

A partir d’une base de données boursières couvrant les sociétés cotées de 90 pays depuis 1900, ils observent que dans tous les pays, les actions surperforment les autres classes d’actifs :  les obligations des sociétés, les obligations gouvernementales, les bons du trésor et la monnaie (l’inflation). 

C’est donc prendre un risque sérieux de sous-performance de ne pas avoir une part très significative de son portefeuille investi en actions. Cette publication fait ressortir par ailleurs la domination du marché américain des actions, à la fois par sa taille (plus de 60% de la capitalisation boursière mondiale en 2024), et par ses performances : 6,5 % l’an de rentabilité réelle (hors inflation), contre 3 ,5% pour les actions françaises.  Ce qui souligne l‘autre risque de performance sous-optimale d’un portefeuille qui serait sous-pondéré en titres américains.

D’ailleurs d’autres travaux de recherche récents se font l’avocat, sur la base d’observations empiriques remontant aux années 1890, de la performance supérieure d’un portefeuille constitué à 100 % d’actions, pour moitié américaines et pour moitié non américaines, sur toute autre allocation.

Certes l’investissement en actions n’a jamais été un long fleuve tranquille. Tous les grands marchés financiers ont connu les mêmes six épisodes funestes : les deux guerres mondiales et le krach de 1929 ; le choc pétrolier de 1973 et la récession qui s’en suivit ; la bulle internet en 2000 ; la crise financière globale de 2008, avec à chaque fois des chutes d’indice proches de 50%. Les rattrapages ont été spectaculaires, mais ils ont pris un certain temps.

En définitive, feu la règle 60/40 ne varietur : une composante obligataire importante traduit une aversion au risque excessive, qui semble relever du cabinet des curiosités financières.

Bertrand Jacquillat

Vice-Président du Cercle des Economistes et Senior Adivsor de Tiepolo