La rigueur budgétaire italienne, une leçon pour Paris ?

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15 octobre 2025

Eric Doutrebente

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La rigueur budgétaire italienne, une leçon pour Paris ?

Le 12 septembre2025 , l’agence Fitch a abaissé la note de la France à A+, pointant une dette au-delà de 113 % du PIB et un déficit persistant. Alors que Paris peine à définir une trajectoire crédible, Rome, longtemps moquée pour son indiscipline, a regagné la confiance des marchés grâce à une consolidation rapide.
Le 12 septembre 2025 restera comme une date symbolique pour les finances publiques françaises. Ce jour-là, l’agence Fitch a abaissé la note souveraine de l’Hexagone de AA- à A+, assortie d’une perspective stable. Pour beaucoup d’observateurs, c’est moins la dégradation elle-même qui inquiète que ce qu’elle révèle : une dette publique qui dépasse désormais 113,7 % du PIB – soit près de 3 500 milliards d’euros – et un déficit qui s’obstine à rester au-delà de 5 % du PIB. Fitch estime qu’en l’absence de mesures crédibles, la dette pourrait grimper jusqu’à 121 % du PIB en 2027, transformant la France en maillon faible de la zone euro.
Depuis des années, Paris vit à crédit. Le choc du Covid puis la crise énergétique ont gonflé des dépenses publiques déjà record, à hauteur de 57 % du PIB. Mais c’est surtout le retour du coût de la dette qui change la donne : après avoir été contenue à 31 milliards en 2019, la charge d’intérêts a atteint près de 70 milliards en 2024 et devrait encore représenter 66 milliards en 2025. Dans un contexte de taux plus élevés, le symbole est brutal : pour la première fois, la France emprunte à dix ans à un coût supérieur à celui de l’Italie, soit 3,48 % contre 3,47 % début septembre. Longtemps moquée pour son indiscipline budgétaire, Rome devient soudain un modèle de rigueur.
Car l’Italie, paradoxalement, a réussi son redressement. Encore au bord du gouffre en 2021, plombée par le Covid, des hôpitaux débordés et une dette supérieure à 135 % du PIB, elle était alors l’objet de toutes les moqueries européennes. Mais l’arrivée de Giorgia Meloni en octobre 2022 a marqué un tournant. Sa coalition, donnée fragile, a apporté une stabilité politique inattendue et enclenché une consolidation budgétaire rapide. En deux ans et demi, le déficit italien est passé de 8,1 % à 3,4 % du PIB, ce qui a convaincu Standard & Poor’s de relever la note souveraine de l’Italie de BBB à BBB+. Dans un renversement spectaculaire, les marchés considèrent désormais que le risque français est aussi, voire plus élevé que le risque italien. Une fois n’est pas coutume, le marché anticipe bien et ce vendredi 19 septembre, Fitch a relevé la note souveraine de l’Italie de BBB à BBB+ pour refléter une confiance accrue dans la trajectoire budgétaire du pays.
Face à ce constat, le débat en France prend des allures d’urgence. Faut-il liquider une partie des actifs publics pour réduire le poids de la dette ? Certains parlementaires ont suggéré de vendre l’or de la Banque de France, qui représente 2 436 tonnes, valorisées à près de 197 milliards d’euros fin 2024. Mais François Villeroy de Galhau, gouverneur de l’institution, s’y est fermement opposé devant l’Assemblée nationale : « L’or est un élément de confiance, pas une solution aux finances publiques. » L’expérience passée – la cession de 589 tonnes entre 2004 et 2009 – avait d’ailleurs été jugée décevante par la Cour des comptes. Pour Villeroy, céder le métal précieux reviendrait à sacrifier un actif stratégique sans résoudre le problème de fond.
Le problème, précisément, est politique. François Bayrou avait tenté de présenter un plan d’économies de 44 milliards d’euros pour ramener le déficit à 4,6 % en 2026 et repasser sous les 3 % en 2029. Son rejet par l’Assemblée et sa démission immédiate illustrent l’incapacité française à bâtir un consensus autour d’une trajectoire crédible. Son successeur, Sébastien Lecornu, n’a d’autre choix que de composer avec une majorité introuvable et des partenaires réticents. Les socialistes pourraient accepter un budget allégé, autour de 20 milliards d’économies, mais au prix de concessions sur la fiscalité et les retraites. Un ajustement jugé trop timide par les marchés, qui sanctionnent déjà l’absence de cap clair.
Pour l’instant, la réaction des investisseurs est restée mesurée : la Bourse de Paris a terminé en légère hausse après l’annonce de Fitch, preuve que le scénario était anticipé. Mais la menace plane : une nouvelle dégradation par Moody’s en octobre ou par S&P en novembre ferait mécaniquement grimper les taux et écarterait la dette française de certains portefeuilles institutionnels. Les banques et les assureurs, qui détiennent d’importants volumes d’OAT (obligations assimilables au Trésor), devraient alors renforcer leurs fonds propres, au détriment du financement de l’économie réelle.
Le contexte monétaire ajoute encore à l’incertitude. Alors que la Banque nationale suisse a ramené son taux directeur à zéro, la BCE reste prudente, maintenant son taux de dépôt à 2 %. Les perspectives de croissance sont faibles – autour de 1 % pour la France – et l’inflation s’approche à nouveau de 2 %. Villeroy de Galhau le martèle : « Nous ne pouvons plus continuer à marcher en somnambules vers le mur de la dette. » En d’autres termes, la politique monétaire ne pourra pas éternellement compenser l’absence de discipline budgétaire.
La comparaison avec l’Allemagne et l’Espagne est tout aussi cruelle. Berlin affiche une dette autour de 63 % du PIB et un déficit limité à 2 %. Madrid, avec une dette d’environ 110 % et un déficit de 4,5 %, suit une trajectoire de redressement plus crédible que Paris. La France se retrouve isolée : moins rigoureuse que l’Allemagne, moins réformatrice que l’Italie, moins convergente que l’Espagne.
Au fond, le déclassement de Fitch ne fait que formaliser ce que les marchés pressentaient : la France a perdu l’avantage de la crédibilité. Or, la dette n’est soutenable qu’aussi longtemps que les investisseurs croient au remboursement. Avec une épargne domestique colossale – 6 400 milliards d’euros –, des atouts industriels et un rôle central dans la zone euro, l’Hexagone a encore les moyens de redresser la barre. Mais sans un cap clair et une volonté politique ferme, ces forces risquent de ne plus suffire.
L’Italie a prouvé qu’un pays très endetté peut regagner la confiance avec un chef déterminé s’il démontre discipline et stabilité. La France, à l’inverse, montre qu’un pays moins endetté peut perdre son crédit s’il persiste dans l’indécision. La véritable ressource souveraine n’est pas l’or, ni les participations de l’État : c’est la crédibilité politique et budgétaire. Et aujourd’hui, c’est ce qui manque le plus à la France.

Éric Doutrebente