Ou nous mène la géoéconomie ?
Il n’est de « climats » que pour les grands crus du vignoble bourguignon. Comme il est des zones géographiques privilégiées pour d’autres ressources naturelles, aux noms moins poétiques que Chambertin ou Chambolle-Musigny les Amoureuses, mais beaucoup plus essentiels à l’activité économique.
Les réserves prouvées en terres rares de la Chine représentent le double de celles du second pays le plus riche en la matière, le Brésil. L’Europe figure au huitième rang de ce classement avec le Groenland, lointaine province du Danemark. La situation n’est pas meilleure dans le domaine de l’énergie.
L’Europe ne dispose que de 1,7% des réserves mondiales prouvées en gaz naturel, contre 20% pour la Russie et plus de 40% pour les pays du Moyen-Orient. Il était naguère encore possible d’ignorer la géographie. Les experts considéraient que n’importe quel pays, en disposant de suffisamment de volonté et de savoir-faire, pouvait réussir, pas besoin de ressources naturelles pour cela, comme l’ont illustré Singapour et Dubaï. Aussi était ignoré l’avantage pour un pays de disposer d’un grand domaine maritime, à la fois pour son activité commerciale et sa prospérité économique en temps de paix et pour sa sécurité en cas de guerre.
Pour reprendre la métaphore du vin, il convenait de suivre les préceptes de l’économiste anglais David Ricardo, qui conseillait aux pays de se spécialiser dans leur compétence distinctive, les Anglais offrant leurs textiles au commerce international et les Portugais leur porto. Avec des politiques commerciales conduisant à l’établissement de tarifs douaniers élevés aussi bien à l’encontre de ses adversaires que de ses alliés, le président des Etats-Unis a renversé la table. A l’évidence les politiques domestiques et les objectifs géopolitiques exercent une influence croissante sur les politiques économiques. C’est d’un retour au protectionnisme de l’entre-deux-guerres auquel on assiste aujourd’hui, à l’intersection des concepts géopolitiques de souveraineté et de sécurité et des considérations économiques qui conduisent à la géoéconomie.
Ce terme recouvre l’utilisation d’instruments économiques pour atteindre des objectifs nationaux. C’est à cette thèse que s’est ralliée l’équipe gouvernementale de Donald Trump pour qui le commerce international est un jeu à somme nulle. Les thèses de Ricardo ont été supplantées par celles de A. O. Hirschman, économiste germano-américain : lorsqu’un pays a la possibilité de cesser ses relations commerciales, la politique de pouvoir prend le dessus. Avec quelle incidence pour les marchés financiers ? On a assisté en cette année 2025 à un phénomène rare, à savoir la hausse simultanée des actions et des obligations. Ce paradoxe ne peut s’appréhender qu’au travers du prisme de la géoéconomie, c’est-à-dire de la distinction claire entre les forces du marché qui conduisent à la hausse des actions et les politiques ayant pour objectif la baisse des taux, qui conduit à la hausse des obligations.
La distinction attribuée cette année pour leurs travaux sur l’importance des innovations sur la croissance aux trois prix Nobel d’économie (dont le Français Philippe Aghion) représente un effet de miroir boursier de la formidable hausse des actions des sociétés technologiques. La hausse des obligations est la traduction des idées du troisième pour qui les révolutions industrielles ont autant une origine intellectuelle que technologique. Mais ces considérations géoéconomiques ne devraient pas polluer les avancées de la révolution industrielle en cours.
