Le marché des actions cherche ses repères
Le marché des actions cherche ses repères
Il existe un certain nombre de raisons d’être serein quant à l’évolution des marchés d’actions, notamment américain : dépenses d’investissement élevées, profits en hausse solide et régulière, situation financière saine à la fois des ménages et des sociétés, tendance à la baisse des taux d’intérêt. Et tout ce qui va sous le terme d’exceptionnalisme américain : la domination dans les technologies d’avenir, la politique de dérégulation favorable à la croissance, etc.
Mais même si le pire n’est pas toujours certain, il n’est pas impossible qu’une sévère correction, sinon un krach, puisse se produire. Mais quand dans ce cas ?
Les grandes révolutions industrielles, et celle de l’IA en est une majeure, ne coulent pas comme un long fleuve tranquille, elles sont semées d’embûches et d’a coups. La précédente révolution, celle de l’internet, avait engendré une bulle, affublée du terme d’exubérance irrationnelle par le président de l’époque de la banque centrale américaine Alan Greenspan. Celui-ci avait vu juste, mais beaucoup trop tôt ; entre la date de son avertissement et l’éclatement de la bulle internet, il s’écoula plus de deux ans pendant lesquels l’indice NASDAQ presque tripla, pour finalement chuter de 70%.
Ainsi les fluctuations boursières connaissent des formes sinusoïdales dont les amplitudes sont variables. D’aucuns sont tentés de faire un parallèle entre la bulle internet et ce qui serait actuellement une bulle IA, notamment au vu des niveaux de valorisation, par exemple de deux sociétés phare de la tech américaine, Nvidia et Tesla.
La valorisation actuelle de Nvidia traduit des anticipations de cash flows tellement élevés que ceux-ci dépasseraient un jour le PIB mondial ! Quant au package de rémunération de $ 1000 Mds promis à Elon Musk, certes sous certaines conditions particulièrement drastiques de niveaux de performances opérationnelle et financière à atteindre. Si ceux-ci étaient atteints, ils pourraient forger le nouvel adage « impossible n’est pas « muskien ».
Mais la remontée du NASDAQ depuis le mois d’avril masque les craintes croissantes des investisseurs internationaux, préoccupés de ne pouvoir rapatrier leur investissement américain dans des conditions convenables. Cette inquiétude ressort du fait que 80% des flux financiers qui s’investissent actuellement sur le marché américain donnent lieu à une couverture par crainte d’une continuation de la baisse du dollar, contre seulement 20% au mois de janvier. Les investisseurs étrangers sont revenus à l’achat d’actifs américains mais ils ne veulent pas de leur exposition dollar. La situation n’est pas près de se modifier, car le couple hausse des actions américaines et dollar faible convient parfaitement au président des Etats-Unis.
C’est à ces anomalies qui traduisent une certaine fissure dans la théorie financière que se sont intéressés deux universitaires Xavier Gabaix d’Harvard et Ralph Koijen de Chicago dans «In search of the origins of financial fluctuations, the Inelastic Markets Hypothesis » selon laquelle les variations dans la demande de titres sont peu sensible à leurs variations de prix.
L’entrée et la sortie de flux de capitaux ont beaucoup plus impact que ce que l’on pensait : l’élasticité prix de la demande de titres est faible. Il y a plusieurs raisons à cela qui tiennent aux transformations du système financier : la prépondérance de la gestion passive qui amplifie les variations de cours d’une part, et la réglementation des institutions financières qui sont un frein aux arbitrages susceptibles de corriger les anomalies de valorisation d’autre part.
Seule cette nouvelle approche peut justifier les valorisations actuelles. Mais comme le disait le doyen de l’analyse financière Benjamin Graham « dans le court terme les marchés sont une machine à voter, et dans le long terme une balance à peser ».
Bertrand Jacquillat
Vice-Président du Cercle des Economistes et Senior Advisor de Tiepolo

