Nvidia et Tesla dans le collimateur de l’actuariat
Nvidia et Tesla sont deux sociétés dont les succès industriels et commerciaux dopés par l’IA sont prodigieux. Les marchés financiers en ont fait leur coqueluche.
Nvidia est devenue la première capitalisation boursière mondiale en franchissant le cap des $ 4000 Mds, supérieure à la capitalisation boursière de toutes les sociétés françaises cotées à la bourse de Paris. Quant à Tesla, sa capitalisation boursière était dans un passé récent supérieure à la valeur cumulée de toutes les autres firmes automobiles mondiales. Son conseil d’administration a été confronté aux tentations velléitaires d’Elon Musk de quitter définitivement la société dont il est le fondateur. Pour retenir cet « aimant à talents », comme le décrit le prospectus de l’émission en cours, celui-ci propose que lui soit attribué des actions Tesla pour un montant équivalent à sa capitalisation boursière actuelle, soit $ 1000 Mds. Oui vous avez bien lu, mille milliards de dollars de rémunération …
L’actuariat peut contribuer à y voir clair dans de telles extravagances, sinon à les justifier. Certes ce cadeau apparemment insensé et grotesque est assorti de plusieurs conditions extrêmement exigeantes. D’abord ce programme s’étale sur 10 ans. Il ne s’éteindra qu’en 2035, et rien n’est immédiatement acquis pour Elon Musk. C’est de performances dans la duré dont il s’agit. Les résultats que celui-ci doit atteindre concernent les bénéfices, l’EBITDA, c’est-à-dire le bénéfice avant charges d’intérêt et impôt. Celui-ci doit doubler à $ 300 Mds, alors qu’il n’est actuellement … que de $150 Mds. Aussi la capitalisation boursière de Tesla devra être multipliée par dix, soit l’équivalent de plus du double de la capitalisation boursière actuelle de Nvidia.
Dans la mesure où il a été accepté par routes les parties prenantes, y compris les actionnaires actuels de la société, ce montage implique que celles-ci estiment non négligeable la probabilité que celui-ci se réalise. Les investisseurs de Nvidia ont des anticipations encore plus élevées. Certes, les ratios classiques de valorisation de court terme semblent raisonnables. Son P/E, le rapport Cours/bénéfices, est de 33, légèrement supérieur à celui de Microsoft, ce qui se justifie par une croissance plus élevée de ses revenus et de ses bénéfices. Sur la base de chiffres publics, son PEG, c’est-à-dire son P/E ajusté de son taux de croissance à 5 ans (g), est encore plus raisonnable, légèrement supérieur à 2, inférieur à ceux d’Apple et Microsoft.
Mais ces comparaisons portent sur des données prévisionnelles de court terme, au mieux sur les cinq prochaines années Et après ? Sur la base des données de consensus des très nombreux analystes financiers qui suivent Nvidia de par le monde, la valeur de ses cash flows actualisés des 5 prochaines années représente $ 600 Mds. C’est beaucoup, mais c’est à peine 15% de sa capitalisation boursière actuelle. On est donc encore loin du compte. Prolongeons donc l’actuariat.
Pour justifier les cours actuels, le solde des $ 3,8 Mds supplémentaires de valorisation ne se justifie que si la croissance des cash flows de Nvidia au-delà de 2030 est d’au moins 6% ad infinitum, soit davantage que la croissance économique mondiale… Ce qui implique que les cash flows de Nvidia atteindraient un jour le PIB mondial… Plus qu’irréaliste, absurde. La morale de ces deux cas ? Même si les actions constituent sur la durée le plus rentable des placements, pratiquer l’analyse fondamentale avec l’aide du calcul actuariel signale d’éventuelles sorties de route, et des valorisations devenues trop tendues.
Bertrand Jacquillat
Vice-Président du Cercle des Economistes et Senior Advisor de Tiepolo
