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"Marchés d’actions : la gestion de portefeuille chamboulée" - la chronique de Bertrand Jacquillat
Selon les travaux de Hendrik Bessenbinder de Arizona State University, les 28.114 sociétés américaines cotées entre 1926 et 2022 ont créé 55.100 Mds $ de valeur pour leurs actionnaires.
Les cinq sociétés en ayant créé le plus sont toutes sauf une d’apparition récente : Apple (2.680 Mds $, soit 4,86% de la création de valeur nette actionnariale totale de presque toute l’histoire industrielle américaine), suivie de près par Microsoft (2.090 Mds $, 3,87%), puis Exxon Mobil (1.220 Mds $), Alphabet, la maison mère de Google (1.000 Mds $), et Amazon (764 Mds $). Certaines sociétés emblématiques ont fait tout récemment leur apparition dans le Top 50 de la création de valeur : Tesla, classée 33ième en 2022, ou Nvidia passée à la 26ème place. Dix sociétés seulement ont contribué pour plus des trois-quarts à la hausse proche de 20% de l’indice S&P des valeurs américaines depuis début 2023. La hausse des marchés d’actions est devenue particulièrement concentrée, l’essentiel étant provoqué par un nombre limité de titres : le phénomène n’est pas propre aux Etats-Unis. La société ASML, qui fabrique les machines à produire les puces graphiques essentielles à l’intelligence artificielle, a contribué pour plus de 20% à la création de valeur des sociétés hollandaises au cours des trente dernières années, et les sociétés du luxe LVMH, Hermès, l’Oréal et Kering pour plus de 25% à la création de valeur des sociétés françaises. Avec une telle proportion de la performance des marchés due à un si petit nombre de titres, au caractère sectoriel très marqué, la question se pose de l’adéquation de la gestion de portefeuille à la réalité des marchés d’aujourd’hui, qu’il s’agisse de gestion active par la sélection de titres ou par l’allocation géographique d’actifs, ou de gestion passive. Les sept magnificent seven que sont Apple, Microsoft, Alphabet/Google, Amazon, Nvidia, Tesla et Meta, qui ont propulsé les indices boursiers vers les sommets, n’existaient pratiquement pas il y a trente ans. Lorsque l’on est en présence d’une transformation disruptive des modes de production de la nature de celle qui est en train de se produire, la probabilité est forte que les acteurs dominants de cette nouvelle scène industrielle le demeurent pendant longtemps, d’autant qu’ils disposent d’énormes réserves financières pour ce faire. Quant à l’allocation géographique d’actifs sur la base des perspectives économiques de zones géographiques déterminées, elle a du plomb dans l’aile. Hormis les valeurs financières et foncières et les utilities dont l’ancrage domestique est prégnant, les facteurs économiques locaux ont perdu toute pertinence en matière d’allocation d’actifs. Les partisans de la gestion passive ou indicielle ne sont pas en reste. Ce style de gestion embarque tout le monde, y compris les sociétés ultra-performantes. Et la valeur d’un portefeuille passif profitera de la hausse exceptionnelle de ces valeurs disruptives, à condition de passer outre les règles traditionnelles de diversification des portefeuilles. La stratégie industrielle du « winner takes it all » se répercute sur les marchés financiers, dominés par un nombre limité de sociétés disruptives, ce qui chamboule la gestion de portefeuille, quel qu’en soit le style, tout en redonnant ses lettres de noblesse à la gestion active.
Paris, le 5 septembre 2023
Bertrand Jacquillat
Vice-Président du Cercle des Economistes, Senior Advisor chez Tiepolo
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