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Tiepolo, Picasso, Warhol et les autres … la créativité artistique est-elle spéculative ?
Le titre de l’ouvrage culte sur l’art contemporain de Don Thompson, « The $12 millions stuffed shark », reflétait le caractère insolite de la qualification d’œuvre d’art attribuée à un immense requin. Péché au large des côtes australiennes, et présenté empaillé dans un énorme bocal, sa décomposition commencerait quelques mois plus tard, même si son créateur Damien Hirst ne l’avait pas conçu comme ouvrage éphémère…
Une telle œuvre, comme la production d’un Andy Warhol ou d’un Jeff Koons, peut-elle être encore qualifiée d’artistique alors même que ces créateurs n’ont, littéralement, jamais mis la main à la pâte des œuvres qu’ils ont signée ? Cela n’empêche pas leurs prix d’atteindre des niveaux stratosphériques.
L’ouvrage plus prosaïque de Arturo Cifuentes et Ventura Charlin « The worth of art » s’appuie sur les outils classiques d’analyse financière pour apporter des éléments de réponse à des questions relatives à la dimension financière de l’art pictural, et qui sont tout sauf anecdotiques pour l’investisseur.
Par exemple, même si leurs attributs sont loin d’être identiques, comment se compare l’achat d’un tableau de Jean-Michel Basquiat à d’autres investissements ? Acheter des œuvres de Basquiat lors de leur apparition à l’occasion des premières ventes publiques à la fin des années 1980 eut été plus judicieux qu’acheter des œuvres de Renoir ou de Matisse, ou le S&P 500.
Un certain nombre de facteurs ont une incidence sur le prix d’un tableau, et d’abord sa composition (paysage, portrait d’un seul personnage ou d’un groupe de personnages, …).
Sur la base des ventes aux enchères publiques effectuées entre 1970 et 2020, les tableaux de Cézanne sont d’autant plus appréciés qu’ils représentent par ordre décroissant de valeur une nature morte, des baigneurs, un portrait, des paysages, ou d’autres motifs, comme les joueurs de cartes.
La valeur d’un tableau dépend aussi de l’âge qu’avait son auteur quand il l’a réalisé. De sa considérable production, ce sont les tableaux de Picasso qu’il composa vers l’âge de 25 ans qui ont commandé les prix les plus élevés. Comme pour Renoir, leur valeur n’a cessé de baisser avec la maturité du peintre au moment de leur réalisation. C’est l’inverse pour Cézanne, Matisse et Monet.
D’autres facteurs entrent en ligne de compte, comme les reflets des couleurs. Ainsi, tous artistes confondus, les reflets qui se dégagent de leurs tableaux, donnent davantage de valeur à ces derniers s’ils sont bleus plutôt que rouges.
La taille du tableau joue aussi, ni trop petit, ni trop grand : ainsi la valeur du cm2 d’un tableau de maître augmente puis diminue avec sa taille. L’identité des femmes, épouses, compagnes et autres, et nombreuses furent celles portraitisées par Picasso, influent sur la valeur des tableaux qui les représentent : la cote de Marie-Thérèse Walter est plus élevée que celle de Dona Maar.
Les family-office de gestion de fortune s’entourent de plus en plus de spécialistes artistiques pour satisfaire leurs clients. Ceux-ci sont intéressés par l’achat d’œuvres d’art, soit par goût, soit pour affirmer leur statut social, mais aussi pour des motifs de diversification des risques. Le titre de cette chronique n’était pas trompeur, même si nulle part n’y figure la cote de Tiepolo, ni celle de tant d’autres grands peintres. C’est que leurs œuvres ne figurent depuis fort longtemps que dans les musées, à l’abri de toute spéculation.
Le 19 janvier 2023
Bertand Jacquillat est Vice-président du Cercle des Economistes et Senior Advisor chez Tiepolo.
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